AlloVedette 2002



Le Devoir     15 septembre 1998

 

À propos du mémoire de Pierre Asselin :  L’histoire au service du nazisme

 


lettre publiée

 

Alain Cuniot

 

Auteur français,  survivant de la Deuxième Guerre mondiale.

 

Pour employer la dernière formule de M. Louis Balthazar, professeur de science politique et directeur du mémoire de Pierre Asselin : « Le IIIe Reich et le projet national du Québec », (présumant) que la lecture dudit mémoire, malgré quelques modifications y ayant été apportées, amènerait le lecteur « à sauter au plafond », je suis de ceux-là qui ont déjà sauté au plafond juste en lisant quelques morceaux choisis.

Je sais ce qu'est « un » mémoire en langage universitaire - mais je connais davantage ce qu'est « la » mémoire en langage historique. Surtout quand on a vécu l'histoire, surtout quand on en a souffert !

Étant Français, depuis peu de temps au Québec, je ne saurais rien dire sur l'analogie historique entre la pensée de Lionel Groulx et celle d’Hitler. 

 

 

 

 

Par contre, précisément parce que je suis Français, et que j'avais atteint l'âge de raison durant la Deuxième Guerre mondiale, donc vécu l'occupation nazie, et que par surcroît ma première famille de mariage était juive polonaise, donc les deux tiers de ses membres ayant été exterminés dans divers camps, je me permets de réagir à certains extraits du mémoire.
 
Premier extrait : « I1 est abusif de présenter l'idée d'exterminer le peuple juif comme partie intégrante du national-socialisme. »
 
Je reviendrai plus tard sur le mot « exterminer ».

Mais je serais curieux de savoir si dans son mémoire - dont les examinateurs vantent « la méthodologie de recherche... une bonne connaissance de la documentation pertinente au sujet traité... la démarche rigoureuse » - l'auteur cite le programme du Part nazi hitlérien de... 1920 !  

En voici quelques extraits :

• Article 4 : « Seuls les citoyens bénéficient des droits civiques. Pour être citoyen, il faut être de sang allemand... Aucun juif ne peut donc être citoyen. »
• Article 7. « ... Si ce pays (l'Allemagne) ne peut nourrir toute la population, les non-citoyens devront être expulsés du Reich.''
• Article 8 : « Nous demandons que tous les non-Allemands (les Juifs) établis en Allemagne depuis le 2 août 1914 soient immédiatement contraints de quitter le Reich. »
• Article 24 : « Le Parti défend le point de vue d'un christianisme constructif (?). Il combat l'esprit judéo-matérialiste à l'intérieur et à l'extérieur. »

Il est évident que dès sa naissance le Parti nazi ciblait les Juifs comme des ennemis de l'Allemagne et que le salut du Reich passait par leur éradication. N'oublions pas la date de ce programme : 1920.

 

 

 

 

Pierre Asselin cite-t-il, au milieu de sa « documentation pertinente », certaines ordonnances de l'État nazi, alors au pouvoir absolu (autres partis et syndicats interdits), datant d'avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale.

Par exemple :
Ordonnance du 12 novembre 1938 :

• Article 1 : « Il est interdit aux Juifs d'exercer un métier à leur compte. Les entreprises juives exploitées à l'encontre de cette interdiction seront fermées par la police. »

• Article 2 : « Il est interdit aux Juifs d'être membres d'une société coopérative... »

Pierre Asselin cite-t-il dans son mémoire « à la démarche rigoureuse » le prolongement de la même ordonnance ? Je cite intégralement :
 

• Article 1 : « Tous les dégâts d'entreprises commerciales et de logements juifs causés par l'indignation populaire due à la propagande venimeuse de la juiverie internationale contre l'Allemagne nationale socialiste les 8, 9 et 10 novembre 1938 doivent être immédiatement réparés par le propriétaire juif ou le négociant juif. »
• Article 2 : 1) « Les frais de réparations sont à la charge du propriétaire des entreprises ou des logements endommagés. »
• 2) « Les dédommagements des assurances auxquels auraient droit les Juifs sont confisqués en faveur du Reich. »

Dois-je continuer ? Oui !

Pour en terminer avec la « méthodologie de recherche » de Pierre Asselin, a-t-il, dans ses recherches méthodiques, découvert l'ordonnance de police du 28 novembre 1938 ?

En voici un seul extrait :
 

 

 

 

 

 

• « ... {les autorités} peuvent imposer aux Juifs des limitations concernant les heures et les lieux interdisant l'accès de certaines régions ou la présence en des lieux publics à certaines heures. »

Je m'arrête là.

Je reviens sur l'étonnante précaution de langage de Pierre Asselin qui veut qu'on ne trouve pas trace de « l'idée d'extermination » dans les textes officiels. Si le choix du mot « idée » n'a qu'une valeur scientifique bien relative, le mot « extermination » mérite d'être approfondi.

Car enfin quoi, que ce soit dans le programme de 1920 ou dans tous les décrets et ordonnances promulgués lorsque les nazis prirent les rênes du pouvoir en 1933, il paraît historiquement évident que l'idéologie nazie n'était que dénonciation, humiliation, isolement de droit et de fait, du peuple juif - et glorification des pogroms, attentats, pillages, incendies contre les Juifs.
 

N'était-ce pas, déjà, une forme « d'extermination ».

Ce n'était pas encore Auschwitz, ni Buchenwald, mais les camps étaient, comme on dit au Québec, en bout de ligne.

Ainsi, lorsque Pierre Asselin écrit : « Cette idée {l'extermination} est née dans la conjoncture de la Deuxième Guerre mondiale et ne peut être saisie comme le corollaire d'un système de pensée », il fait preuve d'une crasse ignorance de l'histoire de l'idéologie nazie, dès son origine.

Et quand il enfonce le clou de cette crasse ignorance en osant écrire : « Dans la mesure où l'Allemagne était écrasée au fil de la guerre, les Allemands ont décidé d'en faire payer le prix aux juifs... » on reste pantois.
 
 

 

 

 

 

 

Ainsi, ce ne serait qu'après la défaite de Stalingrad que les nazis seraient devenus antisémites ?!? Qu'il me soit aussi permis de penser qu'à supposer sa théorie valable, cela aurait été quand même une ignominie de mettre sur le dos du bouc émissaire juif les débâcles militaires de Von Paulus ou de Rommel !

Et je me souviens que lorsque les Allemands occupèrent la France, avec la connivence de Pétain et de Laval, ils relayèrent aussi sec en France leur haine du bouc émissaire juif. J'ai sous les yeux un document annonçant une exposition gouvernementale : « Le Juif contre la France » organisée le... 5 septembre 1941.

Je préfère, ici, ne pas m'étaler sur les persécutions et exterminations subies par ma belle-famille, les Krauze et les Rosenberg, dans les années où les troupes du Reich étaient victorieuses en Europe.
 
 

Il est hélas trop évident que les camps d'extermination coulaient de la source jaillie 20 ans auparavant.

Je souhaite vivement pour me sentir encore plus à l'aise dans ce Québec qui me convient à de nombreux égards, que les « examinateurs » de l'Université Laval réfutent historiquement le travail de leur jeune étudiant présomptueux, qu'en France, depuis longtemps, on nomme, appelant un chat un chat du « négationnisme d'extrême droite », dont Le Pen est une belle figure.

A ce sujet, peut-être n'est-il pas inutile de préciser qu'en France des lois ne considèrent pas la réhabilitation, si feutrée soit-elle, du nazisme et de son idéologie, comme une opinion, mais comme un délit.
 

 

 

 

 

 

Il semble qu'il soit difficile, la maîtrise ayant été accordée, de revenir en arrière, selon les règles de l'Université. Mais, comme disait le général de Gaulle, « il n'est pas nécessaire d'avoir une bonne solution pour en rejeter une mauvaise ».

Or, authentifier, même avec des contorsions, ce faux travail est la pire des solutions.

Les citations des textes nazis proviennent de l'excellent ouvrage de Renée Lescop et Maurice Torrell;

Les Droits de l'homme par les textes, Presses de l'Université du Québec 1972.
 



à propos de  LES MARCHÉS DE LONDRES
 

Le documentaire, en noir et blanc, tourné en 1969 alors que Mireille Dansereau était étudiante au Royal College of Art, Un amour que le spectateur a aussi voluptueusement l’impression de vivre...
Raymonde Bergeron
Journal de Montréal
13 septembre 1996

Mireille Dansereau va, d’instinct, vers un cinéma du “je”, qui parle d’elle, même quand elle présente ses films comme des œuvres de fiction...
Serge Dussault
La Presse
29 août 1996

Dès le début, nous sommes contournés, pris à revers, grâce à une ruse étonnante de Mireille Dansereau. Car le documentaire n’est pas “commenté” ainsi qu’il est d’usage. Non, il est “souvenu”. Nous voyons le réel de 1969, mais un monologue évoque une aventure plus ou moins rêvée, vécue dans le temps du tournage et souvenu en 1996...
                                             
Alain Cuniot
5 septembre 1996


à propos de  LES MARCHÉS DE LONDRES


« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide ». Albert Camus

Pourquoi certains êtres avides de vivre décident-ils d’en finir ?

De quoi avons-nous peur ? Des autres, de leur folie ? Ou de nous-mêmes, du déséquilibre qui nous guette ?

Un homme et une femme s’inquiètent de leur fils adolescent. Le couple s’interroge et se remémore certaines figures mythiques qui ont marqué leur jeunesse, des écrivains surtout : Hubert Aquin, Pierre Gauvreau, Primo Levi et Virginia Woolf.


Dans le bel appartement dépouillé, les voix murmurent, évoquent, questionnent. Nulle affirmation péremptoire, juste des images, comme des repères au cheminement de la pensée. Cette femme, cet homme, c'est nous. Nous qui, un jour, avons cru être éternels, avons vaguement flirté avec le danger, puis nous sommes assagis, tentant de repousser l'idée même de la mort. Jusqu'à ce qu'elle revienne en force à cause du désarroi d'un proche ou de l'horreur d'un fait divers.


Mourir à quelque chose, pour renaître de ses cendres... Pour certains, l'évocation du suicide peut parfois sembler une solution. La majorité de ceux qui y pensent ne passent pas nécessairement à l'acte, affirme, en substance, le docteur Bordeleau.

...Il faut que tu traverses ta peur... a écrit Anne Hébert. À Coaticook, un enfant de 13 ans n'a pas su le faire. Il est mort de l'incompréhension des adultes, accuse l'écrivain français
Alain Cuniot Dans une autre école, des jeunes conçoivent qu'il soit possible de vouloir mourir. Évoquant Kurt Cobain, les yeux se voilent. Rescapé d'une tentative de suicide, Maxime-Olivier Moutier avoue avoir pensé à l’époque : "en mourant, on s’arrêterait enfin et on se questionnerait."

Disparaître pour rappeler qu’on existe, quel étrange paradoxe ! Aujourd'hui, il a choisi la force des mots et écrire est devenu l'arme ultime pour lutter contre ses propres démons.

Intégrant fiction, témoignages, entrevues, archives et animation, Mireille Dansereau signe un film grave, mais néanmoins porteur de foi en la vie. C’est une tentative de s’approcher des causes du suicide et de vaincre la peur, pour finalement en accepter la part du mystère.