Le but de cette page n'est pas de s'enfoncer dans les méandres techniques, chimiques, physiques ou algorithmiques de la prise de vue.

Il s'agit plutôt d'une réflexion personnelle, vous supposant au départ quelques notions de base et un désir d'appréhender la lumière.

 

    Voir la lumière    

     

 

    le zone system    

     

 

       les ombres       

 

Appréhender : apercevoir, avoir peur, comprendre, concevoir, connaître, craindre, percevoir, pressentir, redouter, saisir

Appréhender une scène avec le regard de la caméra pour qui le sujet n'a pas d'importance, seulement des valeurs lumineuses

 

Le principe de la prise de vue, du portrait, s'amorce il y a des millions d'années. D'abord comme souvenirs, archivés dans la mémoire individuelle, sans véhicule objectif permettant de les partager, les communiquer

L'humain s'est rapidement ingénié à représenter ses allégories par des moyens plus matériels, sur les murs des cavernes et via la sculpture, prétendant à refléter ses métaphores personnelles et affectives

Puis arrivèrent les grands mouvements artistiques, esquissant des périodes, réalisme, impressionisme, imaginant une perception du concret, exposant une tangible réminiscence du ressenti et des émotions

L'apparition des moyens mécaniques et chimiques, prétendant reproduire la vie, déclencha aussitôt une méprise chez l'humain qui estima alors qu'il était suffisant de reproduire un instantané exact concret 

La caméra est dépourvue de sentiment, elle doit se contenter d'enregistrer la réalité. L'œil, l'imagination, le souvenir, retouchent ce qu'ils perçoivent pour  se le rappeler tel que le tente la création humaine

 

La prise de vue, comme tous les arts y compris l'hyper-réalisme, ne peut se contenter d'être une reproduction la plus fidèle possible de la réalité. Elle doit redonner une sensation, une impression, une vision; qu'il faut rendre perceptible comme ce que l'œil voit, pas ce que saisit la caméra. Compenser pour les autres éléments qui entre en jeu : le son et le mouvement, qu'on retrouve en tournage, mais aussi odeur, touché et goût.

 

L'œil établi sa propre adaptation face à une scène, accentuant sa sensibilité dans une caverne et atténuant son éblouissement en pleine lumière. Il bénéficie instantanément de multiples temps d'exposition, ouvertures de diaphragme, sensibilités d'exposition, profondeurs de champ et balances chromatiques, en plus de profiter d'un filtre qui élimine tout détail non désiré et enjolive le reste.

 


  

Comprendre la lumière pour la dépeindre sur une toile ou pour la caméra

 

Les peintres ont été les premiers à se rapprocher de cette fascination du ressenti. Ils bénéficient du contrôle à peu près total de la luminosité de leur médium.

Dans l'image ci-contre, le peintre hollandais  a profité de ce contrôle. Par choix, il a idéalisé l'éclairage en privilégiant le détail aussi bien dans les carreaux des fenêtres que dans les textures du mur et jusqu'aux nuances de la draperie sous la table. Il a aussi choisi de mettre l'accent sur la dame écrivant plutôt que sur la servante, légèrement moins lumineuse.

Cette scène aurait été impossible à capter tel quel par des moyens photographique, cinématographique ou numérique, l'écart entre le plein soleil du haut de la fenêtre et les racoins de la pièce étant trop grand. La beauté de l'un ou de l'autre aurait été perdue. À moins de profiter d'un complexe système de contrôle des lumières et des ombres, pour recréer le souvenir de l'œil qu'interprète l'imagination du peintre, comme cela a été réalisé dans le très beau film de Peter Webber (2003)    

La jeune fille à la perle

 

 

Eduardo Serra directeur de la photographie

 

 

 

 

 

Johannes Vermeer   (1632-1675)

Une dame écrivant une lettre et sa servante (1671)

 

 

La jeune fille à la perle (1665-66)

 

 

L'art de la peinture (1662-65)

 

 

Bien que les pellicules et autres supports modernes bénéficient d'un écart de sensibilités, ou latitude, beaucoup plus large qu'il y a quelques décennies, ils sont encore à des années lumière des possibilités de l'œil. Il reste essentiel de bien comprendre le processus de la captation de la lumière par des moyens artificiels et particulièrement ses nombreuses limites.

Deux situations se présentent, la simple (sic) prise de vue: la caméra point; et la prise de vue avec le contrôle des paramètres de luminosité.

C'est d'abord la prise de vue en solitaire, sans autre équipement que la caméra, qu'il faut maîtriser avant d'envisager contrôler la lumière et les ombres. Pour cela il faut savoir prévisualiser mentalement une scène en fonction de ce qu'elle donnera à la caméra. Doit-on faire une exposition moyenne? Ou plutôt sous-exposer pour conserver des détails dans les hautes lumières au détriment des ombres perçues comme délavées ? Surexposer pour aller chercher toutes la richesse des ombres, quitte à ce que les hautes lumières brulent ?

La sensitométrie appliquée quoi.

Mais sans descendre aussi bas, il y a moyen de décortiquer les luminosités d'une scène avec un posemètre en lumière réfléchi, idéalement un spotmètre, mais même un posemètre interne à la caméra peut faire l'affaire si on sait bien s'en servir et le comprendre.

Un vieux principe tombé en désuétude nous permet de facilement de comprendre comment ça marche :
le zone system. Ceux qui connaissent le trouvent parfois complexe et dépassé, pourtant on peut par quelques explications simples permettre d'appréhender une scène en fonction de la caméra afin que le tout devienne lumineux.

Avant d'aborder le zone system, prenons une pellicule actuelle de Kodak et examinons sa sensitométrie ou sa sensibilité. Comme dit plus haut, il y a quelques dizaines d'années, la latitude des pellicules étaient d'au plus quelques diaphragmes. Aujourd'hui les supports de captation de l'image sont souvent annoncés allant jusqu'à 10, en situation idéale.

KODAK
VISION2
200T
5217-7217

Pellicule pour
le cinéma
ISO 200
tungstène

                        COURBES SENSITOMÉTRIQUES

Le point central « 0 » sur l’abscisse correspond à une exposition normale d’une charte gris neutre (18 %) dans les couches sensibles au rouge, au vert et au bleu de ce film. Une charte blanche se situe 2 1/3 diaphs au-dessus d’une exposition normale – et une latitude supplémentaire d’au moins 2 1/2 diaphs reste disponible pour capturer des détails dans les très hautes lumières. Une charte noire à 3 pour cent se situe 2 2/3 diaphs au-dessous de l’exposition normale. Et il reste encore possible de descendre d’au moins 2 1/2 diaphs pour capturer des détails dans les ombres… (dixit Kodak)

 

Ou pour faire plus simple, compte tenu d'une exposition moyenne faite à partir de la lecture d'un posemètre en lumière incidente ou d'un spotmètre sur une charte grise 18 % de réflexion, vous bénéficiez de détails dans les hautes lumières réfléchissant 4 5/6 stop (ou environ 30 fois) plus de lumière, et dans les ombres réfléchissant 4 5/6 stop (ou environ 30 fois) moins de lumière. Soit une latitude annoncée de 9 2/3 de diaphragmes ou un écart de réflexion de près de 500 fois (ah les logarithmes). Restons prudent à 8, 8 ½ en pensant à la perte sur le support final : projection, écran, papier.

Petit rappel. Ce que nous voyons et ce que la caméra enregistre, c'est seulement la lumière réfléchie par un sujet. C'est pour ça qu'en plein soleil une feuille blanche nous éblouie tandis qu'un calepin noir nous laisse indifférent.

base dude base

 

 

Pellicule et numérique, même combat, le contraste

 

Regarder par le viseur de l'appareil une image de quelques centimètres carrés et croire qu'on peut ainsi juger de ce que donnera le résultat final sur un support, quel qu'il soit, c'est se mettre profondément le doigt dans la lentille.

Il faut se placer face à la scène et la regarder, avec les yeux et sa tête, puis faire ce qu'il faut pour que ce soit cette image que reçoive la caméra.

Une scène telle que vous l'auriez vu dans un viseur de caméra


Si vous cliquez dessus, vous aurez le rendu final par Ansel Adams

 

Le zone system fut développé par Ansel Adams et Fred Archer vers 1939-40 pour contrebalancer le problème du peu de latitude des films noir et blanc de l'époque, quelques ƒ/stop tout au plus. Et je parle de noir et blanc parce qu'une scène doit avant tout être évaluée par ses valeurs lumineuses. C'est en visualisant un cadre en valeurs de gris, noir et blanc qu'on le prévisualise, les couleurs viendront se coller à ces valeurs. invisible

Exposer pour les ombres, développer pour les lumières. C'est sur ce principe qu'est basé le zone system. Bien que nous ne parlerons pas vraiment de développement de pellicule ici, comprendre le cheminement du zone system permettra d'imaginer le rendu de l'image. Comme il y aura obligatoirement un transfert de la caméra vers l'écran ou le papier, la prévisualisation devient l'équivalant d'une espèce de WYSIWYG mental. Imaginons une scène extérieur sous un ciel voilé, dont les valeurs lumineuses couvrent 10 diaphragmes entre le noir et le blanc : un pré verdoyant avec une vache blanche et brune, devant une maison beige avec des portes en bois et un toit de tôles ondulées, une clôture blanche devant et sur le côté un gros rocher sombre avec un 9 peint en blanc et un 0 en noir sur sa surface. Finalement une charte grise 18 % de réflexion (gris sur lequel la plupart des cellules ou posemètres sont étalonnées) est posée sur les marches de la maison. Vous commencez à prévisualiser. Partons du principe qu'une belle image a au moins un vrai blanc et un vrai noir, il s'agit donc de s'avoir où se situeront les différentes valeurs de cette scène.

 

Le zone system établit une grille ou une règle de 10 zones numérotées de 0 à 9. Ces zones sont séparées par un écart d'un diaphragme. Donc chacune des zones réfléchit deux fois plus de lumière que la précédente et deux fois moins que la suivante. En terme de ƒ/stop ça donne ceci invisible

                   

noir

ƒ 1.4

ƒ 2

ƒ 2.8

ƒ 4

ƒ 5.6

ƒ 8

ƒ 11

ƒ 16

blanc

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

 

Et en terme de quantité de lumière réfléchit par chacune des zones en pieds chandelle, voici ce que donnerait la progression

10

20

40

80

160

320

640

1280

2560

5120

 

 

 

Après avoir mesuré au spotmètre la luminosité des détails de la scène, plaçons les dans leur zone respective, compte tenu que la lecture sur la charte grise nous donne une exposition de ƒ 5.6 dans ce cas et qu'elle se retrouve en zone 5. invisible

0 peint en noir

sur le rocher

rocher

sombre

taches brunes

de la vache

pré

verdoyant

portes

en bois

charte grise 18 % de réflexion

maison

beige

toit de tôles

 ondulées

bonhomme de neige et vache

9 peint en blanc

sur le rocher

noir

ƒ 1.4

ƒ 2

ƒ 2.8

ƒ 4

ƒ 5.6

ƒ 8

ƒ 11

ƒ 16

blanc

 

Dis autrement, dans ce cas de figure, le rocher sombre exposé à ƒ 1.4 ou le bonhomme de neige à ƒ 16 donneraient la même valeur de gris.

 

Quelques exemples de réflexion

 

Spéculaire

%

Diffuse

%

argent poli

87-92

carbonate de magnésium

93-97

miroir d'aluminium ou argent sur verre

85-87

plâtre blanc

90-92

feuille d'aluminium

62-67

papier dessein blanc

80

chrome poli brillant

62-67

peinture blanche

75-88

acier inoxydable poli

55-65

neige fraîche tombée

73

nickel

60-63

neige après quelques jours

60

aluminium commercial

53-55

porcelaine blanche matte

60-80

marbre blanc

40-60

linge blanc

30-60

chêne clair

25-35

béton

20-30

   

Charte grise

18

Mixte

%

brique, chêne foncé

10-15

tôle émaillée blanche

60-70

papier noir

5

porcelaine blanche lisse

60-80

toile noir

1-1,5

chrome mat

50-60

velours noir

0,4

   

 

 

Nous avons donc une sensibilité égal à ISO 125, vitesse 1/50, ouverture ƒ 5.6, pour que la charte grise se retrouve en zone 5 sur le rendu final. La pellicule pour le cinéma Kodak VISION2 200T à une sensibilité de ISO 200 en lumière tungstène, et de 125 en lumière naturelle avec un filtre correcteur 85 qui coupe 2/3 de diaphragme. Cette scène et chacune de ses valeurs devrait donc bien sortir sur le produit fini. Situation idéale.

0 peint en noir

sur le rocher

rocher

sombre

taches brunes

de la vache

pré

verdoyant

portes

en bois

charte grise 18 % de réflexion

maison

beige

toit de tôles

 ondulées

bonhomme de neige et vache

9 peint en blanc

sur le rocher

noir

ƒ 1.4

ƒ 2

ƒ 2.8

ƒ 4

ƒ 5.6

ƒ 8

ƒ 11

ƒ 16

blanc

  zones détaillées  

 

• 

Mais au temps d'Ansel Adams, avec une latitude de 5 diaphragmes, la même scène exposée à ƒ 5.6 aurait plutôt donné ce type d'écart.

0 le rocher brun vache           neige vache 9
          charte        

 

 

Ou exposée à ƒ 2.8, la charte se retrouve en zone 3, trop sombre, les parties claires ont reçues trop de lumière et deviennent blanche

0           maison tôles neige vache 9
      charte            

 

Et à ƒ 8, la charte se retrouve en zone 6, trop claire, les parties sombres n'ont pas été assez exposées pour avoir du détail et resteront noir

 

0 le rocher brun vache le pré           9
            charte      

 

Selon le principe du zone system, exposer pour les ombres et développer pour les lumières, Ansel Adams aurait probablement exposé cette scène à ƒ 2.8 pour avoir sur son négatif les détails du rocher sombre qui se retrouverait en zone 1. Mais il aurait diminué son temps de développement pour ne pas sursaturer son négatif dans les éléments des zones 6, 7 et 8.

 

 

• 

 

 

  Court exposé sur le processus en cours durant le développement d'un film noir et blanc.

 

Le révélateur commence par légèrement grisonné toutes les parties du négatif ayant reçu un peu de lumière. Puis il continue à assombrir les parties en ayant reçu deux fois plus, tandis que les premières resteront à peu près stable jusqu'à la fin.  Puis celle ayant reçu 4 fois plus de lumière s'assombrissent tandis que les deux premières se stabilisent. Et ainsi de suite jusqu'à finalement opacifié les parties qui se retrouvent trop exposer. Si on arrête le développement avant que les parties voulues dans la zone 8 ne s'opacifient pour qu'elles gardent du détail, c'est gagné. invisible

négatif
 

temps de
développement


  positif

0
1
2
3
4
5
6
7
8
9

10 minutes
9 minutes
8 minutes
7 minutes
6 minutes
5 minutes
4 minutes
3 minutes
2 minutes
1 minute

9
8
7
6
5
4
3
2
1
0


   

Pour finir de faire le tour, revenons à la scène de tout à l'heure (pré, vache, maison, clôture, rocher, etc.) sous un ciel voilé. Éclairée à travers une légère couche nuageuse, son contraste s'étend sur environ 10 diaphragmes, adéquat pour la latitude des support pellicule et numérique actuel. invisible Si la couche nuageuse était épaisse et blanche, le contraste serait sans doute ramené autour de 4 ou 5 diaphragmes, adéquat pour une pellicule noir et blanc des années 40, sans avoir à faire appel au zone system. Avec les supports modernes actuels, la scène risquerait de sortir un peu terne. Mais si par contre les nuages disparaissaient à midi et que la scène se retrouve en plein soleil, le contraste pourrait monter jusqu'à 15 diaphragmes, sinon plus, et vous vous retrouvez avec 2 choix : attendre un moment plus favorable, ou choisir entre privilégier les hautes lumière ou les ombres. À moins que vous n'ayez la possibilité d'éclairer, de contrôler les hautes et les basses lumières. Mais si vous vous retrouvez avec une scène du genre de la photographie d'Ansel Adams plus haut

... L'éclairage, vaste sujet. À suivre.

Quelques exemples des valeurs d'éclairement

 

  lux pieds chandelles
Soleil du midi au mois d'août 100 000 10 000
En moyenne au soleil 50 000 5 000
Ciel couvert 10 000 à 30 000 1 000 à 3 000
Tournage en studio cinéma 1 000 à 2 000 100 à 200
Plateau de télévision ou terrain de sport 800 à 1 600 80 à 160
Grand magasin 500 à 600 50 à 60
Quai du métro 300 30
Appartement 100 à 300 10 à 30
Rue du centre ville 20 à 100 2 à 10
Paysage à la pleine lune 0,1 0,01
 
Toutes ces valeurs sont très approximatives et ne servent qu'à visualiser les différences

 

EV
à

ISO
125

6

6.3

6.7

7

8

9

10

11

12

13

14

15

noir - ƒ/stop

ƒ 1.4

ƒ 2

ƒ 2.8

ƒ 4

ƒ 5.6

ƒ 8

ƒ 11

ƒ 16

blanc

10 pieds chand.

20

40

80

160

320

640

1280

2560

5120

zone 0

1

2

3

4

5

6

7

8

9


  

Les ombres    à venir